samedi 26 novembre 2011

Ciudad Caribia, la cité des rêves de Chávez


Inaugurée fin août, Ciudad Caribia, une ville sortie de terre dans la banlieue de Caracas, devrait compter 100 000 habitants en 2018. Le régime compte en faire une vitrine de la révolution bolivarienne.
Rodrigo Rivera, les pieds dans les gravats d'une maison qui s'est effondrée, regarde avec envie une ville en construction sur une colline au loin : Ciudad Caribia. Cette cité en chantier devrait, selon les prévisions gouvernementales, abriter environ 100 000 habitants en 2018. Les 602 premières familles s'y sont installées fin août.
Rodrigo Rivera, 22 ans à peine, est porte-parole d'un camp de réfugiés comptant encore plus de 2 000 personnes. Fin novembre 2010, une cinquantaine de maisons de son quartier ont été emportées par des coulées de boue dues à de fortes pluies. Comme 130 000 de ses compatriotes, il s'est retrouvé du jour au lendemain sans toit. Beaucoup d'entre eux demeurent encore dans des centres d'hébergement improvisés.
Rodrigo a suivi jour après jour l'avancée de la construction de la ville par des ingénieurs vénézuéliens, cubains et iraniens : "Ils ont tout, là-bas : il y a même des parcs pour enfants." Certains de ses amis du camp ont pu s'y installer. "Le gouvernement, avec notre aide, a privilégié les femmes seules et les personnes sans emploi",raconte-t-il.
A trois stations de métro du centre de Caracas, des camionnettes 4 x 4 roulant au gaz attendent patiemment des passagers. Pour 2 bolivars [environ 0,35 euro], elles amènent leurs clients vers la nouvelle ville en empruntant l'autoroute en direction de la côte caribéenne et de l'aéroport. Une vingtaine de minutes plus tard, le véhicule serpente dans les montagnes : au sommet, les cimes ont été rasées, des camions s'agitent, une dizaine d'immeubles de quatre et cinq étages apparaissent. Voici Ciudad Caribia, la vitrine de la "mission logement" lancée en avril. En vue de la présidentielle d'octobre 2012, Hugo Chávez compte remédier à la faible quantité de logements en construction et braque les projecteurs vers cette cité dont les travaux ont débuté en 2007.
Greily Arana, 29 ans et mère célibataire de deux filles dont l'aînée est âgée de 15 ans, est fière de montrer son nouvel appartement de 72 m2 : une cuisine équipée d'un four et de plaques, un réfrigérateur et une machine à laver de marque chinoise donnent sur un salon modestement meublé de canapés et d'une petite table. L'appartement compte deux chambres et deux salles de bains. "Dans le camp, les femmes dormaient toutes dans la même pièce. Cela fait du bien de retrouver un peu de vie privée", raconte-t-elle.
Les anciens sinistrés ne savent pas s'ils devront payer pour ces habitations. A la mission logement, on indique :"Le budget a été dépassé. Les sinistrés devront participer de façon modique", mais on ne spécifie pas le montant exact. La participation des autres habitants, pour la plupart issus des barrios - les quartiers pauvres souvent construits dans des zones à risques -, sera plus importante. Ils rembourseront 290 000 bolivars [environ 49 000 euros] sur les 570 000 bolivars [environ 97 000 euros] de la valeur des appartements estimée par le gouvernement.
Au sommet de la colline, avec la mer pour horizon, Ciudad Caribia n'est pas seulement la vitrine de la mission logement, c'est aussi celle du pouvoir. Les habitants ont déjà un porte-parole par bâtiment, en attendant la mise sur pied des conseils communaux, ces instances de pouvoir locales menées par des assemblées d'habitants.
Des affiches collées aux vitres annoncent ici l'arrivée très prochaine de la mission Ribas (une formation pour décrocher le bac) ; là s'implantera la mission Robinson - un programme de lutte contre l'analphabétisme. Greily Arana vient d'amener sa fille se faire ausculter gratuitement par un médecin cubain dans un dispensaire de la mission Barrio Adentro, qui délivre des soins élémentaires.
Ana Caravallo, 33 ans, mère célibataire, est, elle, soulagée par la présence d'un Mercal, une supérette qui vend des produits subventionnés. Sur les étals fraîchement remplis, on trouve de la farine, du sucre, de l'huile... "Deux fois moins cher qu'ailleurs !" s'exclame Ana.
Le directeur de l'école d'architecture de l'université centrale du Venezuela, Gustavo Izaguirre, doute pourtant de la pérennité du projet. Il pointe du doigt "l'éloignement" de la capitale. Greily Arana assure de son côté qu'elle met trente minutes pour rejoindre son poste de secrétaire au ministère de l'Education, dans le centre de Caracas. Pour le gouvernement, l'objectif de Ciudad Caribia est de ne pas dépendre de la capitale, mais de créer ses propres sources d'emplois. Dans le bâtiment principal de la ville, tout proche du Mercal, qui, tout comme la cafétéria, sera géré par les habitants, une vingtaine de machines à coudre attendent d'être utilisées. Une entreprise de textile dépendant de l'Etat devrait bientôt entrer en service.
Pour Gustavo Izaguirre, cela ne suffira pas. La petite route partant de l'autoroute peut geler la venue des entreprises, et la ville risque de se convertir "en ville-dortoir malgré toutes les bonnes volontés". Surtout, il souligne les coûts élevés de la construction d'une ville de cette importance. Il aurait préféré que l'on agrandisse les villes moyennes.
L'urbaniste César Garmendia, lui, ne décolère pas. Avec d'autres spécialistes, il était chargé de trouver un lieu adéquat pour la future cité. "Nous avions bien localisé cet axe entre l'aéroport et la capitale, mais l'endroit choisi ne correspond pas à ceux que nous avions désignés", dit-il. Selon lui, les "risques sismiques sont importants dans cette zone" et la nature du sol faciliterait les glissements de terrain.
Greily Arana et Ana Caravallo croient, elles, en l'avenir de leur ville, une ville socialiste "où c'est à nous de fabriquer du rêve", dit Greily, "où il n'y aura pas de centres commerciaux", mais des magasins mis en place par et pour les habitants. Pour Ana, Ciudad Caribia, c'est "savoir vivre ensemble", "la sécurité", "la propreté". Ciudad Caribia porte un espoir. Il faudra attendre quelques années pour savoir si le rêve s'est concrétisé.

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